lundi 19 novembre 2012

Quelle réforme pour la recherche ?



Le monde de la recherche va encore bouger. De nouvelles réformes s'annoncent avec la tenue, les 26 et 27 novembre à Paris, des Assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette initiative fait suite à sept années de profonds changements dans le paysage, après des états généraux obtenus sous la pression de la communauté scientifique, en 2004, et qui ont donné lieu à plusieurs lois, souvent contestées, en 2005 et en 2007.
Les voix qui demandaient avant toute discussion des moratoires sur les dernières décisions du précédent gouvernement n'ont pas été entendues. Les marges de manoeuvre budgétaires sont étroites. Si bien que ces assises, initiative du sommet plutôt que de la base, ont surtout mobilisé les institutions, et guère les chercheurs eux-mêmes. Des questions majeures restent posées, auxquelles deux projets de loi, sur l'université et sur la recherche, devraient tenter de répondre début 2013.

1. PEUT-ON SIMPLIFIER LE MILLE-FEUILLE FRANÇAIS ?
Le mot qui est revenu le plus lors des auditions ou dans les contributions qui ont précédé les assises est "simplification". "Depuis 2005, beaucoup de nouvelles structures sont apparues, conduisant à un mille-feuille institutionnel, qualifié plutôt de "mikado" par certains. Mais personne ne veut enlever son étage !", témoigne Rémy Mosseri, directeur de recherche CNRS et membre du comité de pilotage des assises. Cette complexité vaut tant pour la gestion administrative des personnels que pour la recherche de financements, les chercheurs pouvant frapper à une multitude de guichets, de celui de leur "employeur" jusqu'à ceux d'instances européennes, en passant par des appels d'offres publics, lancés par des fondations, des régions...
"Un mois sur douze est consacré à écrire des projets. Ça pompe notre énergie de chercheur", indique Bruno Andreotti, professeur en physique de l'université Paris-VII au laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes de l'ESPCI ParisTech.
Le drame est que ces innovations administratives ont souvent été lancées dans un souci de simplification pour accroître la visibilité des établissements français, à l'international notamment. Or, la lecture devient de plus en plus compliquée avec des structures qui se recouvrent. "Les gens ne savent même plus dans quoi ils sont", ironise Georges Debrégeas, physicien de l'université Pierre-et-Marie-Curie.
Ainsi, à Paris, les deux principales initiatives d'excellence (IDEX) - des regroupements d'établissements - portent toutes les deux le nom de Sorbonne (Sorbonne-université et Sorbonne Paris-Cité). La troisième, Paris-Sciences et Lettres, n'a qu'une seule université et quatre grandes écoles, quand les autres n'en ont pas vraiment, actant ainsi une vieille fracture française. En mathématiques, les laboratoires de Paris-VI et Paris-VII se trouvent dans deux IDEX différentes, mais certains sont réunis dans la Fondation sciences mathématiques de Paris, une fondation de coopération scientifique dans le jargon.
"En Ile-de-France, les découpages en mégauniversités nient des collaborations réelles et forcent d'autres équipes à se réunir dans des montages fictifs. Les réformes visent à passer d'un système de recherche fondé sur la coopération, où les organismes comme le CNRS assuraient une cohésion nationale, à une organisation où des blocs universitaires mis en concurrence s'affrontent pour récupérer des moyens financiers", regrette Bruno Andreotti.
2. QUELLE PLACE POUR L'UNIVERSITÉ DANS LA RECHERCHE ?
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007, dite aussi d'autonomie des universités, n'est pas sans conséquence sur le fonctionnement des laboratoires, ces derniers étant souvent installés sur des campus universitaires en cotutelle avec des organismes de recherche.
D'abord, il y a la situation des finances et de l'emploi. En héritant de la gestion salariale de leurs personnels, les universités ont dû mécaniquement recruter pour ces nouvelles fonctions, sans recevoir pour autant de moyens supplémentaires."A Paris-VII, pour le département de physique, ce redéploiement nous a fait perdre 15 postes d'enseignant-chercheur sur 150", estime Bruno Andreotti. 14 présidents ont même récemment demandé au ministère de reprendre cette activité (Le Mondedu 16 novembre).
Ensuite, l'activité de recherche est devenue une manière de fierté des plus grandes universités, notamment avec la publicité faite aux classements mondiaux, qui prennent en compte souvent plus la recherche que l'enseignement, et dans lesquels les établissements français brillent peu. "Que l'université reprenne la main sur des laboratoires ne nous pose pas de problème", estime un directeur du CNRS. "Si l'université prend le relais, on coule !", pense au contraire un biologiste. Les différences culturelles et les écarts de moyens ravivent de vieilles querelles.
En outre, les régions, ayant en charge l'enseignement supérieur, ont de plus en plus leur mot à dire sur la politique universitaire. Il sera alors logique que cette dernière s'adapte aux spécificités locales, faisant craindre un "pilotage" de la recherche qui heurte la sacro-sainte liberté du chercheur. "L'un des buts avoués des réformes en cours est de faire apparaître des universités d'élite à forte composante recherche et d'autres dites de proximité, surtout chargées de l'enseignement", estime Bruno Andreotti.
3. LE FINANCEMENT PAR PROJET EST-IL LA PANACÉE ?
Les laboratoires, traditionnellement financés par des moyens apportés par les organismes de recherche et les universités, voient de plus en plus leurs ressources venir de réponses à des appels d'offres sur projet. L'Agence nationale de la recherche (ANR) ou l'Europe, mais aussi les investissements d'avenir, incarnent ce nouveau modèle. Selon l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), la quote-part des financements par projet dans la recherche publique est passée de 4,4 % en 2007 à 20,5 % en 2011. "Les crédits de base de mon institut sont passés de 80 % du budget à 20 % !", constate le neurobiologiste Yehezkel Ben-Ari.
Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans le budget 2013, a anticipé la critique et a décidé de diminuer de 70 millions d'euros le budget de l'ANR, qui est d'environ 686 millions d'euros, afin de le reverser aux organismes de recherche (mais l'essentiel est absorbé par des cotisations retraite). La course aux financements a cependant fait des heureux. "80 % du budget de mon établissement est sur projets. Nos moyens ont été considérablement augmentés, et nous pouvons faire ce que nos prédécesseurs ont rêvé de faire : recrutements, nouveaux enseignements, expériences... Nous soutenons la comparaison avec les meilleurs du monde", s'enthousiasme un directeur de département, qui reconnaît des "frustrations" chez ceux qui n'ont pas été choisis dans les appels d'offres.
"La situation est un peu ubuesque, car elle crée de la pénurie d'un côté et de la quasi-gabegie quand l'argent coule à flots sur un labo", critique Georges Debrégeas. Cela augmente aussi la charge administrative, même si l'ANR assure, dans sa contribution aux assises, avoir divisé par deux "le nombre de rapports d'activité exigé". Beaucoup appellent de leurs voeux une situation plus raisonnable, avec environ 50 % de crédits de recherche assurés par les tutelles, et non par des appels d'offres. L'ANR propose quant à elle d'augmenter la part des sommes obtenues allant non à l'équipe gagnante mais à son établissement.
"A l'origine, les états généraux avaient souhaité des appels à projet pour aider les jeunes sur des projets innovants. Mais c'est devenu tout autre chose", regrette Yehezkel Ben-Ari. Une autre critique des politiques d'appels à projet concerne d'ailleurs leur trop faible capacité à favoriser l'innovation et l'originalité, en fixant par avance les directions à creuser. A l'écoute de ces critiques, le conseil d'administration de l'ANR a, le 14 novembre, décidé d'augmenter significativement la part des appels à projets "blancs", sans thème imposé.
4. COMMENT ÉVALUER LA RECHERCHE ?
Le comité de pilotage n'a pas eu du mal à identifier dans sa note de synthèse"l'évaluation comme un sujet majeur de préoccupations". C'est évidemment moins le principe que les modalités qui posent problème. Notamment l'agence nouvelle créée à cet effet en 2007, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres). Certains, dont l'Académie des sciences, demandent même sa suppression au profit des instances nationales existantes (CNRS, Inserm, universités).
Les raisons des griefs sont nombreuses. "Il y a plusieurs manières d'évaluer. L'une permettant l'accompagnement des laboratoires avec des comités permanents, du suivi, évitant les comparaisons et les notations. L'autre, à la manière de l'Aeres, qui sert plutôt d'outil de gestion administrative, avec des comités changeants pour chaque évaluation, et qui donne des notes", critique Christophe Blondel, du syndicat SNCS. La notation des laboratoires sert ensuite souvent comme critère de sélections dans les appels d'offres.
Le comité de pilotage note aussi que plusieurs personnes ont critiqué la disjonction entre l'évaluation des personnels et celle des structures les hébergeant. En cinq ans, quelque 250 établissements de recherche et plus de 3 000 unités de recherche ont été évalués au moins une fois par l'Aeres dotée, en 2010, de 15 millions d'euros. Mais, tant pour les évalués que pour les évaluateurs, cela a alourdi la bureaucratie. L'Académie des sciences, dans sa contribution aux assises, se fait même l'écho d'évaluateurs étrangers qui "refusent désormais de participer parce qu'ils ne perçoivent plus l'intérêt de l'évaluation telle qu'elle est actuellement pratiquée, ou parce que la présence qui leur est demandée est excessive".
5. A QUOI SERVENT LES MILLIARDS DU CRÉDIT IMPÔT RECHERCHE ?
Le crédit d'impôt recherche (CIR) aura, en 2012, coûté 5,3 milliards d'euros à l'Etat, soit trois fois plus qu'en 2007, car la réforme de 2008 a considérablement élargi cet avantage fiscal accordé aux entreprises. Son coût devrait se stabiliser à cette hauteur dans les années à venir. L'Etat prend ainsi en charge quasiment 20 % des dépenses de recherche et développement (R&D) du privé, dont le montant global était évalué à 26 milliards d'euros en 2009, tandis qu'il consacre 16 autres milliards d'euros au financement de la recherche publique.
Avec ce crédit d'impôt, les entreprises éligibles se font rembourser 30 % de leurs investissements de R&D, et jusqu'à 60 % si elles engagent de jeunes docteurs ou coopèrent avec des laboratoires publics. C'est ce qui s'est heureusement produit, puisque, comme l'indique le rapport du sénateur (PS) Michel Berson, paru le 18 juillet 2012, le nombre d'entreprises ayant recruté ces chercheurs a doublé, passant de 439 en 2007 à 886 en 2010, année où elles étaient 2 583 à avoir fait appel à des laboratoires publics, contre 1 376 en 2007. Malgré cette progression, le CIR profite peu à la recherche publique, car ces partenariats atteignent à peine 5 % des dépenses. Le CIR suscite des débats passionnés, d'abord parce qu'il coûte beaucoup plus que les 2,8 milliards d'euros annoncés par le gouvernement Fillon en 2008.
Ensuite, son impact sur la croissance de l'activité, en France, et sa capacité d'innovation, au moment où le pays subit une désindustrialisation accélérée, sont contestés. Les études sur l'efficacité économique du CIR sont rares, et le rapport Berson en cite une, de janvier 2009, émanant de la Direction générale du Trésor, qui laisse espérer une augmentation du PIB de 0,3 à 0,6 point d'ici quinze ans ; et une seconde, de novembre 2011, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui évalue l'effet de levier du CIR à 1,31 (1 euro investi suscite 1,31 euro de dépense en R&D).
"En 2009, en pleine crise, les entreprises ont augmenté leurs investissements de recherche grâce au CIR. La France est, avec la Corée du Sud, le seul pays à les avoir accrus, plaide Franck Debauge, directeur d'Acies Consulting et animateur de l'Observatoire du CIR. Quant à la fraude possible, les entreprises concernées sont très contrôlées, tant par le fisc que par des experts du ministère de la recherche."
6. LA PRÉCARITÉ EST-ELLE UNE FATALITÉ ?
C'est une vraie bombe à retardement que l'ancienne majorité a laissée à ses successeurs : le mode de financement de la recherche par appels à projet, attribués par l'Agence nationale pour la recherche, a fait exploser la précarité des chercheurs. Car les laboratoires sont amenés à recourir à des contractuels dont la durée des contrats correspond à celle des financements. L'accélération a été considérable entre 2006 et 2012. Le collectif Sauvons la recherche estime à 50 000 les effectifs concernés, qu'ils soient chercheurs, enseignants, administratifs, ingénieurs ou techniciens, contractuels, vacataires ou titulaires de contrat à durée déterminée.
Selon Pierre Girard, du SGEN-CFDT recherche, "le CNRS compte 26 000 titulaires et 9 500 contractuels, dont seuls 47 ont récemment obtenu un CDI grâce à la loi Sauvadet du 12 mars 2012 sur la résorption de la précarité dans la fonction publique, loi dont le financement n'a malheureusement pas été prévu dans le budget 2012. Nous constatons que les difficultés les plus aiguës touchent les personnels qualifiés, des catégories A et A +, en particulier les ingénieurs des laboratoires". La Cour des comptes constate dans son référé d'août 2012 qu'à l'Inserm "les effectifs en contrat à durée déterminé ont été multipliés par 4 entre 2005 et 2010, passant de 497 personnes à 1 925 fin 2010".
Leur proportion dans le personnel a bondi de 12 % en 2005 à 28 % en 2011. Avec les vacataires, c'est 42 % du personnel qui travaille avec un statut précaire. Le ministère estime que 8 400 universitaires et 1 400 chercheurs des organismes sont régularisables, ce qui devrait être fait sur quatre ans ; et il cherche à réduire le recours à des contractuels, en limitant à un seul le contrat ANR par chef de projet et par an, et en imposant que pas plus de 30 % du travail soit réalisé par des agents non titulaires : "Ces mesures sont bonnes, mais pas faciles à contrôler", souligne Pierre Girard.

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