mardi 27 novembre 2012

Quelle réforme pour la recherche ?


Le monde de la recherche va encore bouger. De nouvelles réformes s'annoncent avec la tenue, les 26 et 27 novembre à Paris, des Assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette initiative fait suite à sept années de profonds changements dans le paysage, après des états généraux obtenus sous la pression de la communauté scientifique, en 2004, et qui ont donné lieu à plusieurs lois, souvent contestées, en 2005 et en 2007.
Les voix qui demandaient avant toute discussion des moratoires sur les dernières décisions du précédent gouvernement n'ont pas été entendues. Les marges de manoeuvre budgétaires sont étroites. Si bien que ces assises, initiative du sommet plutôt que de la base, ont surtout mobilisé les institutions, et guère les chercheurs eux-mêmes. Des questions majeures restent posées, auxquelles deux projets de loi, sur l'université et sur la recherche, devraient tenter de répondre début 2013.

dimanche 25 novembre 2012

Les professionnels alertent sur la "misère" de la justice

"Depuis octobre, bon nombre de juridictions n'ont plus de papier pour imprimer leurs jugements..." Les professionnels de la justice tirent la sonnette d'alarme face à la "misère" que le budget 2013 sera, selon eux, très loin de régler.
"Depuis octobre, bon nombre de juridictions n'ont plus de papier pour imprimer leurs jugements..." Les professionnels de la justice tirent la sonnette d'alarme face à la "misère" que le budget 2013 sera, selon eux, très loin de régler.
"Nous, fonctionnaires du ministère de la Justice, surveillants et directeurs de prison, conseillers d'insertion et de probation, greffiers, éducateurs, magistrats et avocats, rappelons l'état catastrophique du service public de la justice", ont écrit mi-novembre une dizaine de syndicats.

lire la suite sur le site du point.fr

"Faire partager les questions éthiques"

Médecin et chercheur, professeur d'immunologie et directeur du Centre d'études du vivant à l'université Paris-Diderot, mais aussi homme de radio, Jean Claude Ameisen est le nouveau président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).

Le CCNE fêtera ses 30 ans au printemps. Comment entendez-vous inscrire son rôle dans la société ?  

Le CCNE est le premier Comité consultatif national d'éthique créé au monde. Depuis 1983, il a eu, dans notre pays et dans le monde, un rôle de tout premier plan. J'attache une grande importance à sa mission d'animation d'une réflexion éthique dans la société. Les avancées scientifiques et les questions éthiques qu'elles soulèvent sont souvent traitées par les médias dans un contexte d'urgence. Le rôle du CCNE est de prendre du recul, de dégager les enjeux, d'explorer et de présenter les différentes options qui permettront aux citoyens de s'approprier la réflexion et de s'exprimer à partir d'un "choix libre et informé". Un processus au coeur de la démarche éthique biomédicale, et essentiel à la vie démocratique.

La démarche éthique peut-elle se fonder exclusivement sur l'expertise biologique et médicale ?

 Non. Le CCNE est indépendant et transdisciplinaire : quand le respect de la personne est en jeu, l'expertise biologique et médicale est indispensable mais n'est pas suffisante. Le CCNE est composé de 40 membres : des médecins et des biologistes, mais aussi des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des juristes, des personnes venant de différents horizons, y compris quatre membres choisis pour leur appartenance aux grandes familles spirituelles et religieuses.
A mesure que notre réflexion collective s'élabore, elle dépasse les points de vue initiaux de chaque participant. C'est une démarche qui demande de l'humilité et implique que chacun reconnaisse qu'il a besoin de l'autre. On considère trop souvent que des avis d'experts suffisent pour décider des grands choix de notre pays. Le CCNE est un exemple intéressant qui pourrait être étendu à d'autres domaines : les enjeux des nanotechnologies, des OGM, du nucléaire, du réchauffement climatique, des choix économiques...

Comment faire entrer davantage la réflexion éthique dans la société civile?

Il y a sûrement un travail pédagogique important à faire pour que les démarches scientifique et éthique deviennent des composantes à part entière de notre culture. Le CCNE peut tenter de rendre ses avis non pas plus simples, mais parfois plus clairs. Non pas en effaçant la complexité, mais en clarifiant les dimensions essentielles de cette complexité. Et il y a l'animation de la réflexion publique, qui est essentielle. En 2009, durant les "états généraux de la bioéthique", des panels de citoyens tirés au sort ont réfléchi ensemble et émis des avis et recommandations d'un très grand intérêt...
Je crois qu'il n'y a pas de forme idéale d'animation de la réflexion publique. Il faut croiser différentes approches. Et les inscrire plus souvent dans une dimension internationale. En France, nous débattons trop souvent sur les questions éthiques comme si nous étions seuls au monde. Faire participer des comités d'éthique d'autres pays, notamment européens, nous aiderait à mieux élaborer nos réflexions. Et à mieux comprendre en quoi et pourquoi nous pouvons souvent faire, à partir des mêmes questions éthiques, des choix différents.

Le CCNE pourrait-il être plus réactif ?  

En 2007, le CCNE a élaboré et publié un avis sur les tests génétiques pour le regroupement familial (avis n° 100) en une journée. Mais la problématique était relativement simple. Une grande réactivité est utile dans certains cas, mais je pense que là n'est pas le rôle essentiel du comité. Enfermer le CCNE dans un rôle de lanceur d'alerte ou de réponse d'urgence serait lui ôter ce qui fait l'originalité de sa mission : faire "un pas de côté", réaliser une analyse originale et approfondie. Nous vivons dans une culture de l'instantané, nous manquons souvent de recul. La plupart des avis du CCNE ont demandé plusieurs mois de réflexion, parfois des années.

A six reprises entre 1984 et 2001, le CCNE a recommandé un régime d'autorisation encadrée des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires - sans avoir été suivi par le législateur. N'est-ce pas perturbant ?  

Lors des états généraux de 2009, le panel de citoyens avait fait la même recommandation. Le CCNE est une autorité indépendante consultative. Il ne peut, ni ne doit, se substituer aux choix du législateur et de la société. Le rôle principal du CCNE me semble être de faire ressortir la complexité des problèmes, leurs enjeux, les contradictions éventuelles, et de clarifier au mieux les possibilités de choix. C'est la démarche que nous avons suivie en 2010 dans notre réflexion sur les recherches sur l'embryon (avis n° 112). Il est souvent arrivé que le législateur traduise très rapidement des recommandations du CCNE dans la loi. Même alors, l'existence d'une réflexion publique qui permette à la société de bien comprendre et de participer à ces choix demeure importante.

Vous avez dit vouloir ouvrir le CCNE à des économistes. Quel serait leur apport ? 

 Ils nous aideraient dans nos réflexions sur trois points très importants. D'une part, à mieux prendre en compte les facteurs socio-économiques et environnementaux qui ont une influence sur l'espérance de vie et la santé, comme l'a montré l'OMS - et les moyens d'y remédier. D'autre part, à mieux apprécier la dimension économique des choix de politique de santé, avec les risques d'exclusion ou d'abandon qu'ils sont susceptibles d'induire. Enfin, ils nous aideraient à analyser les effets des politiques économiques nationales et internationales sur la santé.

Les réflexions éthiques, dites-vous, tendent à se focaliser sur le tout début et sur la toute fin de la vie, ce qui peut conduire à négliger un peu "le reste". Quel est pour vous ce "reste" ?  

Notre existence, la trame de nos jours. La vie de l'enfant, de l'adolescent, de l'adulte, de la personne âgée. Dans notre pays, deux millions d'enfants vivent aujourd'hui sous le seuil de la pauvreté, les enfants atteints de handicap sont trop souvent privés d'un accès à l'éducation, les personnes adultes et âgées privées d'accès aux soins, les personnes atteintes de maladies psychiatriques graves, abandonnées dans la rue ou enfermées en prison. Dans le monde, des millions d'enfants et de personnes adultes meurent chaque année de maladie et de faim, alors que nous avons les moyens de les sauver. "Qu'est-ce qui devrait nous tenir éveillé la nuit ?, demandait récemment le Prix Nobel d'économie Amartya Sen. Les tragédies que nous pouvons prévenir, et les injustices que nous pouvons réparer." Dans notre pays. Et dans le monde.

vendredi 23 novembre 2012

Où va notre justice ?

Ils aspirent tous deux à une réforme de la justice, mais ne sont fondamentalement pas d'accord sur grand-chose. Bilger, célèbre avocat général, critique âprement la politique pénale de Nicolas Sarkozy et voit dans l'action de Christiane Taubira une rupture idéologique encore plus dommageable. Lombard, ténor du barreau, est plus clément pour le précédent quinquennat comme pour l'actuel pouvoir. Un duel à fleurets mouchetés, inattendu, parfois à fronts renversés, et toujours réjouissant. Lire la suite sur le site du Figaro.

mercredi 21 novembre 2012

La science sert aussi à évaluer la technique

Le fétichisme de la technique croyance en son aptitude à toujours fournir une solution à un problème matériel quelconque non seulement nous asservit, mais il est gros de conséquences. Toute technique, même la plus apparemment bienfaisante, a son revers nuisible. Ainsi, les engrais azotés proviennent de la fixation de l'azote atmosphérique par le procédé Haber-Bosch. S'il venait à s'interrompre, au moins deux milliards d'humains souffriraient de famine au bout de quelques mois. Il n'est donc pas question d'y renoncer. 
Pourtant, il a son revers, connu de tous, qu'il s'agisse de l'envahissement des côtes bretonnes par des algues une eutrophisation créée par les rejets des élevages de porcs ou de la zone morte de l'Atlantique découlant de l'agriculture tout au long du Mississippi. Nos actions quotidiennes les plus banales ont un côté nocif. Les sachets en plastique qui contiennent nos achats se retrouvent dans d'immenses poubelles encombrant les océans, là où les courants font des ronds-points, et détruisant des espèces vivantes. Mon propos est de mettre l'accent sur des actions dont on croit à tort qu'elles vont dans le bon sens, être un progrès, une énergie douce contribuant à un "développement durable", en novlangue (la "Newspeak" d'Orwell). Ne nous voilons pas la face, une innovation technique conduit le plus souvent à un transfert de nuisances, à un simple changement d'étiquette. J'en donnerai pour exemple les puissants aimants au néodyme inventés dans les années 1980 et utilisés pour la production d'électricité, tant par les voitures hybrides que par les éoliennes, des dispositifs tenus pour écologiques. Le néodyme est une terre rare. Un véhicule hybride, une Toyota Prius, pour fixer les idées, en consomme 1 kg. Il en faut des centaines de kilos pour chaque éolienne. La consommation globale actuelle excède 10 kilotonnes par an. On peut craindre désormais une raréfaction accrue de cette ressource minérale. Ces deux applications visent à lutter contre le réchauffement global (nuisance A), elles appauvrissent le patrimoine minier collectif, même avec un taux de recyclage de 90 % (nuisance B). Ce n'est pas tout. L'indispensable purification du néodyme exige de le séparer d'avec d'autres éléments lourds. D'où de dangereux rejets radioactifs que nul ne surveille, qui polluent l'environnement (nuisance C). Les lieux d'extraction étant africains ou chinois, les nantis des pays du Nord ne s'en préoccupent aucunement. Cessons de faire l'autruche. Il est grand temps de regarder les choses en face et d'évaluer toute technique d'un regard froid, celui du scientifique, et de lutter contre le lavage de cerveaux procédant par angélisme et simplification à outrance, qu'il nous vienne des politiques ou des médias.

lundi 19 novembre 2012

OGM, l'étude qui fait peur

L'étude contestée menée secrètement sur des rats montrent que ceux qui ont consommé des maïs avec des OGM ont deux à trois fois plus de tumeurs que ceux qui n'en ont pas consommés. Le taux de mortalité chez les femelles est également deux à trois fois plus élevé.

Quelle réforme pour la recherche ?



Le monde de la recherche va encore bouger. De nouvelles réformes s'annoncent avec la tenue, les 26 et 27 novembre à Paris, des Assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette initiative fait suite à sept années de profonds changements dans le paysage, après des états généraux obtenus sous la pression de la communauté scientifique, en 2004, et qui ont donné lieu à plusieurs lois, souvent contestées, en 2005 et en 2007.
Les voix qui demandaient avant toute discussion des moratoires sur les dernières décisions du précédent gouvernement n'ont pas été entendues. Les marges de manoeuvre budgétaires sont étroites. Si bien que ces assises, initiative du sommet plutôt que de la base, ont surtout mobilisé les institutions, et guère les chercheurs eux-mêmes. Des questions majeures restent posées, auxquelles deux projets de loi, sur l'université et sur la recherche, devraient tenter de répondre début 2013.

1. PEUT-ON SIMPLIFIER LE MILLE-FEUILLE FRANÇAIS ?
Le mot qui est revenu le plus lors des auditions ou dans les contributions qui ont précédé les assises est "simplification". "Depuis 2005, beaucoup de nouvelles structures sont apparues, conduisant à un mille-feuille institutionnel, qualifié plutôt de "mikado" par certains. Mais personne ne veut enlever son étage !", témoigne Rémy Mosseri, directeur de recherche CNRS et membre du comité de pilotage des assises. Cette complexité vaut tant pour la gestion administrative des personnels que pour la recherche de financements, les chercheurs pouvant frapper à une multitude de guichets, de celui de leur "employeur" jusqu'à ceux d'instances européennes, en passant par des appels d'offres publics, lancés par des fondations, des régions...
"Un mois sur douze est consacré à écrire des projets. Ça pompe notre énergie de chercheur", indique Bruno Andreotti, professeur en physique de l'université Paris-VII au laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes de l'ESPCI ParisTech.
Le drame est que ces innovations administratives ont souvent été lancées dans un souci de simplification pour accroître la visibilité des établissements français, à l'international notamment. Or, la lecture devient de plus en plus compliquée avec des structures qui se recouvrent. "Les gens ne savent même plus dans quoi ils sont", ironise Georges Debrégeas, physicien de l'université Pierre-et-Marie-Curie.
Ainsi, à Paris, les deux principales initiatives d'excellence (IDEX) - des regroupements d'établissements - portent toutes les deux le nom de Sorbonne (Sorbonne-université et Sorbonne Paris-Cité). La troisième, Paris-Sciences et Lettres, n'a qu'une seule université et quatre grandes écoles, quand les autres n'en ont pas vraiment, actant ainsi une vieille fracture française. En mathématiques, les laboratoires de Paris-VI et Paris-VII se trouvent dans deux IDEX différentes, mais certains sont réunis dans la Fondation sciences mathématiques de Paris, une fondation de coopération scientifique dans le jargon.
"En Ile-de-France, les découpages en mégauniversités nient des collaborations réelles et forcent d'autres équipes à se réunir dans des montages fictifs. Les réformes visent à passer d'un système de recherche fondé sur la coopération, où les organismes comme le CNRS assuraient une cohésion nationale, à une organisation où des blocs universitaires mis en concurrence s'affrontent pour récupérer des moyens financiers", regrette Bruno Andreotti.
2. QUELLE PLACE POUR L'UNIVERSITÉ DANS LA RECHERCHE ?
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007, dite aussi d'autonomie des universités, n'est pas sans conséquence sur le fonctionnement des laboratoires, ces derniers étant souvent installés sur des campus universitaires en cotutelle avec des organismes de recherche.
D'abord, il y a la situation des finances et de l'emploi. En héritant de la gestion salariale de leurs personnels, les universités ont dû mécaniquement recruter pour ces nouvelles fonctions, sans recevoir pour autant de moyens supplémentaires."A Paris-VII, pour le département de physique, ce redéploiement nous a fait perdre 15 postes d'enseignant-chercheur sur 150", estime Bruno Andreotti. 14 présidents ont même récemment demandé au ministère de reprendre cette activité (Le Mondedu 16 novembre).
Ensuite, l'activité de recherche est devenue une manière de fierté des plus grandes universités, notamment avec la publicité faite aux classements mondiaux, qui prennent en compte souvent plus la recherche que l'enseignement, et dans lesquels les établissements français brillent peu. "Que l'université reprenne la main sur des laboratoires ne nous pose pas de problème", estime un directeur du CNRS. "Si l'université prend le relais, on coule !", pense au contraire un biologiste. Les différences culturelles et les écarts de moyens ravivent de vieilles querelles.
En outre, les régions, ayant en charge l'enseignement supérieur, ont de plus en plus leur mot à dire sur la politique universitaire. Il sera alors logique que cette dernière s'adapte aux spécificités locales, faisant craindre un "pilotage" de la recherche qui heurte la sacro-sainte liberté du chercheur. "L'un des buts avoués des réformes en cours est de faire apparaître des universités d'élite à forte composante recherche et d'autres dites de proximité, surtout chargées de l'enseignement", estime Bruno Andreotti.
3. LE FINANCEMENT PAR PROJET EST-IL LA PANACÉE ?
Les laboratoires, traditionnellement financés par des moyens apportés par les organismes de recherche et les universités, voient de plus en plus leurs ressources venir de réponses à des appels d'offres sur projet. L'Agence nationale de la recherche (ANR) ou l'Europe, mais aussi les investissements d'avenir, incarnent ce nouveau modèle. Selon l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), la quote-part des financements par projet dans la recherche publique est passée de 4,4 % en 2007 à 20,5 % en 2011. "Les crédits de base de mon institut sont passés de 80 % du budget à 20 % !", constate le neurobiologiste Yehezkel Ben-Ari.
Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans le budget 2013, a anticipé la critique et a décidé de diminuer de 70 millions d'euros le budget de l'ANR, qui est d'environ 686 millions d'euros, afin de le reverser aux organismes de recherche (mais l'essentiel est absorbé par des cotisations retraite). La course aux financements a cependant fait des heureux. "80 % du budget de mon établissement est sur projets. Nos moyens ont été considérablement augmentés, et nous pouvons faire ce que nos prédécesseurs ont rêvé de faire : recrutements, nouveaux enseignements, expériences... Nous soutenons la comparaison avec les meilleurs du monde", s'enthousiasme un directeur de département, qui reconnaît des "frustrations" chez ceux qui n'ont pas été choisis dans les appels d'offres.
"La situation est un peu ubuesque, car elle crée de la pénurie d'un côté et de la quasi-gabegie quand l'argent coule à flots sur un labo", critique Georges Debrégeas. Cela augmente aussi la charge administrative, même si l'ANR assure, dans sa contribution aux assises, avoir divisé par deux "le nombre de rapports d'activité exigé". Beaucoup appellent de leurs voeux une situation plus raisonnable, avec environ 50 % de crédits de recherche assurés par les tutelles, et non par des appels d'offres. L'ANR propose quant à elle d'augmenter la part des sommes obtenues allant non à l'équipe gagnante mais à son établissement.
"A l'origine, les états généraux avaient souhaité des appels à projet pour aider les jeunes sur des projets innovants. Mais c'est devenu tout autre chose", regrette Yehezkel Ben-Ari. Une autre critique des politiques d'appels à projet concerne d'ailleurs leur trop faible capacité à favoriser l'innovation et l'originalité, en fixant par avance les directions à creuser. A l'écoute de ces critiques, le conseil d'administration de l'ANR a, le 14 novembre, décidé d'augmenter significativement la part des appels à projets "blancs", sans thème imposé.
4. COMMENT ÉVALUER LA RECHERCHE ?
Le comité de pilotage n'a pas eu du mal à identifier dans sa note de synthèse"l'évaluation comme un sujet majeur de préoccupations". C'est évidemment moins le principe que les modalités qui posent problème. Notamment l'agence nouvelle créée à cet effet en 2007, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres). Certains, dont l'Académie des sciences, demandent même sa suppression au profit des instances nationales existantes (CNRS, Inserm, universités).
Les raisons des griefs sont nombreuses. "Il y a plusieurs manières d'évaluer. L'une permettant l'accompagnement des laboratoires avec des comités permanents, du suivi, évitant les comparaisons et les notations. L'autre, à la manière de l'Aeres, qui sert plutôt d'outil de gestion administrative, avec des comités changeants pour chaque évaluation, et qui donne des notes", critique Christophe Blondel, du syndicat SNCS. La notation des laboratoires sert ensuite souvent comme critère de sélections dans les appels d'offres.
Le comité de pilotage note aussi que plusieurs personnes ont critiqué la disjonction entre l'évaluation des personnels et celle des structures les hébergeant. En cinq ans, quelque 250 établissements de recherche et plus de 3 000 unités de recherche ont été évalués au moins une fois par l'Aeres dotée, en 2010, de 15 millions d'euros. Mais, tant pour les évalués que pour les évaluateurs, cela a alourdi la bureaucratie. L'Académie des sciences, dans sa contribution aux assises, se fait même l'écho d'évaluateurs étrangers qui "refusent désormais de participer parce qu'ils ne perçoivent plus l'intérêt de l'évaluation telle qu'elle est actuellement pratiquée, ou parce que la présence qui leur est demandée est excessive".
5. A QUOI SERVENT LES MILLIARDS DU CRÉDIT IMPÔT RECHERCHE ?
Le crédit d'impôt recherche (CIR) aura, en 2012, coûté 5,3 milliards d'euros à l'Etat, soit trois fois plus qu'en 2007, car la réforme de 2008 a considérablement élargi cet avantage fiscal accordé aux entreprises. Son coût devrait se stabiliser à cette hauteur dans les années à venir. L'Etat prend ainsi en charge quasiment 20 % des dépenses de recherche et développement (R&D) du privé, dont le montant global était évalué à 26 milliards d'euros en 2009, tandis qu'il consacre 16 autres milliards d'euros au financement de la recherche publique.
Avec ce crédit d'impôt, les entreprises éligibles se font rembourser 30 % de leurs investissements de R&D, et jusqu'à 60 % si elles engagent de jeunes docteurs ou coopèrent avec des laboratoires publics. C'est ce qui s'est heureusement produit, puisque, comme l'indique le rapport du sénateur (PS) Michel Berson, paru le 18 juillet 2012, le nombre d'entreprises ayant recruté ces chercheurs a doublé, passant de 439 en 2007 à 886 en 2010, année où elles étaient 2 583 à avoir fait appel à des laboratoires publics, contre 1 376 en 2007. Malgré cette progression, le CIR profite peu à la recherche publique, car ces partenariats atteignent à peine 5 % des dépenses. Le CIR suscite des débats passionnés, d'abord parce qu'il coûte beaucoup plus que les 2,8 milliards d'euros annoncés par le gouvernement Fillon en 2008.
Ensuite, son impact sur la croissance de l'activité, en France, et sa capacité d'innovation, au moment où le pays subit une désindustrialisation accélérée, sont contestés. Les études sur l'efficacité économique du CIR sont rares, et le rapport Berson en cite une, de janvier 2009, émanant de la Direction générale du Trésor, qui laisse espérer une augmentation du PIB de 0,3 à 0,6 point d'ici quinze ans ; et une seconde, de novembre 2011, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui évalue l'effet de levier du CIR à 1,31 (1 euro investi suscite 1,31 euro de dépense en R&D).
"En 2009, en pleine crise, les entreprises ont augmenté leurs investissements de recherche grâce au CIR. La France est, avec la Corée du Sud, le seul pays à les avoir accrus, plaide Franck Debauge, directeur d'Acies Consulting et animateur de l'Observatoire du CIR. Quant à la fraude possible, les entreprises concernées sont très contrôlées, tant par le fisc que par des experts du ministère de la recherche."
6. LA PRÉCARITÉ EST-ELLE UNE FATALITÉ ?
C'est une vraie bombe à retardement que l'ancienne majorité a laissée à ses successeurs : le mode de financement de la recherche par appels à projet, attribués par l'Agence nationale pour la recherche, a fait exploser la précarité des chercheurs. Car les laboratoires sont amenés à recourir à des contractuels dont la durée des contrats correspond à celle des financements. L'accélération a été considérable entre 2006 et 2012. Le collectif Sauvons la recherche estime à 50 000 les effectifs concernés, qu'ils soient chercheurs, enseignants, administratifs, ingénieurs ou techniciens, contractuels, vacataires ou titulaires de contrat à durée déterminée.
Selon Pierre Girard, du SGEN-CFDT recherche, "le CNRS compte 26 000 titulaires et 9 500 contractuels, dont seuls 47 ont récemment obtenu un CDI grâce à la loi Sauvadet du 12 mars 2012 sur la résorption de la précarité dans la fonction publique, loi dont le financement n'a malheureusement pas été prévu dans le budget 2012. Nous constatons que les difficultés les plus aiguës touchent les personnels qualifiés, des catégories A et A +, en particulier les ingénieurs des laboratoires". La Cour des comptes constate dans son référé d'août 2012 qu'à l'Inserm "les effectifs en contrat à durée déterminé ont été multipliés par 4 entre 2005 et 2010, passant de 497 personnes à 1 925 fin 2010".
Leur proportion dans le personnel a bondi de 12 % en 2005 à 28 % en 2011. Avec les vacataires, c'est 42 % du personnel qui travaille avec un statut précaire. Le ministère estime que 8 400 universitaires et 1 400 chercheurs des organismes sont régularisables, ce qui devrait être fait sur quatre ans ; et il cherche à réduire le recours à des contractuels, en limitant à un seul le contrat ANR par chef de projet et par an, et en imposant que pas plus de 30 % du travail soit réalisé par des agents non titulaires : "Ces mesures sont bonnes, mais pas faciles à contrôler", souligne Pierre Girard.

"Innoncence Project" arrive en France

Aux Etats-Unis, «Innocence Project» a réussi en 20 ans à disculper 300 condamnés. En France, à Lyon, un avocat pénaliste a décidé de lancer cet ambitieux combat avec le concours de confrères, gendarmes, scientifiques et élèves avocats, pour innocenter des condamnés à tort. Il sera officiellement lancé le 11 janvier prochain à Lyon.

«J’avais pris connaissance il y a deux ans d’"Innocence Project" par une chronique sur France Culture qui évoquait le travail de cette association qui oeuvre à la réouverture d’affaires de condamnés définitifs qui protestaient de leur innocence», confie Sylvain Cormier, avocat spécialisé en droit pénal à Lyon et à Paris.
Aux Etats-Unis, Innocence Project a célébré le 3 octobre dernier son 300e acquitté, «ce qui est extraordinaire, si l’on compare à la poignée de révisions réussies en France», relève Me Cormier.